Hamadi Touati aurait pu faire carrière en équipe nationale et figurer parmi l’effectif convoqué aux Jeux méditerranéens «Tunis-1967». Mais le défenseur axial de l’Espérance Sportive de Tunis a privilégié des impératifs familiaux.
«Ce refus m’a valu par la suite d’être écarté du onze national où je faisais, a priori, figure de remplaçant, sur le flanc de l’arrière-garde, de Mahfoudh Benzarti ou d’Ahmed Lamine car j’étais encore latéral gauche, observe-t-il plus d’un demi-siècle plus tard. Une chance inouïe s’envolait. A 22 ans seulement, cela laisse inévitablement un arrière-goût d’amertume».
Hamadi Touati, votre carrière internationale a basculé, sans doute irrémédiablement peu avant les Jeux méditerranéens de Tunis, en 1967, lorsque vous déclinez la convocation en sélection. Racontez-nous ce tournant.
Pour préparer les premiers Jeux méditerranéens à être organisés par notre pays, le sélectionneur national me convoque en tant que défenseur gauche. Malheureusement, pour des raisons familiales, je décline la convocation. Je ne pouvais pas m’absenter aussi longtemps loin de ma famille. A commencer par le stage de Hongrie. Ce refus me vaut d’être écarté du onze national où je faisais, a priori, figure de remplaçant de Mahfoudh Benzarti ou d’Ahmed Lamine, car j’étais encore latéral. Une chance inouïe s’envolait. A 22 ans seulement, cela laisse inévitablement un arrière-goût d’amertume.
Remontons au début de l’aventure. Qui vous a découvert et amené à signer à l’Espérance ?
Si Chedly Ben Slimène, mon prof de sport au Lycée Alaoui. Au départ, je pratiquais l’athlétisme, et Si Chedly a décelé en moi des dons de footballeur. Direction l’Espérance où Ameur Bahri entraînait les jeunes. J’ai débuté en 1960 avec les cadets en tant… qu’attaquant. Et j’allais rester à ce poste jusqu’à mon premier match seniors, en 1962 à Monastir, contre l’USM de l’époque qui comprenait de très grands joueurs : Mahfoudh Benzarti dit «El Moujahid», Nouri Hlila, Jouili, Moncef Tabka dans les bois… J’ai eu la chance d’inscrire notre but (1-1). Polyvalent, j’ai retrouvé le poste d’avant-centre durant quelques matches de la saison 1968-1969.
Alors, comment êtes-vous devenu défenseur ?
Nous devions jouer un match de coupe juniors contre l’Union Sportive Tunisienne que nous avons d’ailleurs remporté (6-0). Notre entraîneur, Hassen Tasco, a tout d’un coup découvert qu’il dispose pour ce match de beaucoup plus d’attaquants que de défenseurs. J’ai alors spontanément proposé à notre coach d’occuper le flanc gauche de la défense. L’entraîneur de l’équipe seniors, le Français Jean Baratte, suivait cette rencontre où j’ai donné satisfaction à un poste pourtant inhabituel pour moi d’autant plus que je suis droitier. Après ces débuts-là sur le flanc gauche, je me suis reconverti en défenseur axial aux côtés de Ridha Akacha, là où nous avons relevé Aloui et Youssef Baganda.
S’en tenant à votre expérience, quelles qualités doit posséder un bon défenseur axial ?
Placement, relance et lecture du jeu. Il doit également jouer des deux pieds.
Pourquoi avez-vous opté pour l’EST alors que vous êtes l’enfant de la banlieue ?
C’est le choix du cœur car toute ma famille est espérantiste. Mon frère Tahar a évolué à l’EST parmi les cadets et juniors. Mon neveu Jalel a joué dans l’équipe de handball sang et or avant d’émigrer en France. C’est mon beau-frère, Brahim Sakouhi, qui a été à l’origine de ma signature au club de Bab Souika. Pourtant, enfant de Carthage-Dermech, j’aurais pu signer à l’Avenir Musulman (actuel Avenir Sportif de La Marsa) d’autant plus que la star marsoise Taoufik Ben Othmane était mon idole. En fait, à l’EST, je passais pour être l’exception car chaque joueur venait d’un quartier de Tunis, alors que j’étais pratiquement le seul à venir de la banlieue.
Comment s’est faite votre intégration
à l’Espérance ?
Mon club venait d’essuyer une terrible déconvenue (6-0) contre la formidable équipe de l’Union Sportive Tunisienne de l’époque. De quoi provoquer un profond malaise et un fort sentiment d’humiliation. Notre président, Chedly Zouiten, demande sur le coup à l’entraîneur de construire une équipe pour l’avenir. Haj Ali, Khaled et Abdelmajid Tlemçani sont écartés. Place à la bagatelle de sept juniors lancés dans le grand bain des seniors: Taieb Mezni, Abdeljabbar Machouche, Sadok Meriah, Abdessalam, Fethi Tnani, et moi-même. Cette saison-là, nous avons dû cravacher dur afin d’assurer notre maintien parmi l’élite. Rached Meddeb et Salah Nagy étaient les uniques rescapés de la vieille garde, alors que Chedly Laâouini débarquait dans l’équipe-fanion. La saison d’après, en 1964, nous terminons deuxièmes du championnat, derrière le Club Africain et décrochons la coupe de Tunisie devant le Club Sportif Hammam-Lif (1-0, but de Chedly Laâouini). Un trophée très cher car remporté dans des circonstances particulières, juste après le décès de notre président charismatique, Chedly Zouiten, un véritable éducateur parti le 1er août 1963.
Quels furent vos entraîneurs ?
Mouldi Laâroussi, Hassen Tasco, Abderrahamne Ben Ezeddine, Cheikh Draoua, Am Mehrez, Hedi Feddou, les Français Robert Domergue et Jean Baratte et le Hongrois Sandor Pazmandy.
Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer
le foot ?
Mon père Jalloul Touati, d’origine algérienne, n’accordait guère d’intérêt au sport. Quant à ma mère Neïla, elle ignora longtemps le fait que je jouais au football. Je m’entraînais entre midi et 14h00 avec les équipes des jeunes, et je lui disais que les études me prenaient tout ce temps-là. En partant le dimanche disputer les rencontres des jeunes, je prétendais que j’allais rejoindre le lycée pour disputer le championnat scolaire. Jusqu’au jour où ma mère découvrit le pot aux roses à l’occasion du fameux match ESS-EST du 5 mars 1961 en quarts de finale de la coupe de Tunisie.
De graves incidents se produisirent ce jour-là à Sousse qui entraînèrent la suspension des activités du club local…
Oui, je n’oublierai jamais cette date-là car j’ai vu la mort de mes propres yeux, comme on dit. Nous l’avons emporté (2-0) à Sousse même. Les Etoilés contestèrent certaines décisions de l’arbitre Mustapha Belakhouas. Le jet de pierres qui s’ensuivit a détruit toutes les vitres du bus qui transportait l’équipe juniors de l’EST où j’ai pris place. Il a fallu que nous nous cachions sous les sièges, protégés par nos sacs de sport. En rentrant, j’ai dû tout raconter à ma mère. Toute la semaine durant, en rentrant de mes études, ma mère me soignait en prélevant de mon dos des débris de verre, séquelles du caillassage du bus à Sousse, lesquels continuaient à me torturer. Les violences qui ont suivi ce classique ESS-EST restent mon plus mauvais souvenir. L’Etoile Sportive du Sahel a été par la suite dissoute pour une saison.
Que représente pour vous l’Espérance ?
Quelque chose de sacré. Depuis ma retraite sportive, je ne veux plus suivre nos rencontres parce que je souffre énormément. L’émotion est trop forte pour moi. Que vos lecteurs se rassurent: ma passion exclut le moindre accent de chauvinisme. Le sport est tout sauf l’intolérance qui se manifeste aujourd’hui. Mon foot à moi se situe à des années-lumière de la haine et des tensions devenues la marque de fabrique des compétitions de chez nous. Ma génération se nourrissait d’un sport noble, d’un esprit sain dans un corps sain. Je me rappelle avoir disputé un match amical, une mi-temps avec l’EST et une autre avec le CA en 1965-1966. Pour son cinquantenaire fêté en 1969, l’EST a invité le club belge d’Anderlecht. Nous avons formé une entente composée des joueurs de l’EST, CA, ASM… On était quasiment dans un même club.
Quel est à votre avis le plus grand footballeur tunisien de tous les temps ?
Noureddine Diwa, sans conteste.
Et les meilleurs joueurs de l’EST ?
Hassen Tasco, Salah Nagy, Abderrahmane Ben Ezeddine, Haj Ali, Rached Meddeb, Hedi Feddou, Mehrez, Abdeljabbar Machouche, Abdessalam, Tarek… Je citerai aussi Larbi Gueblaoui et Abdelkader Ben Sayel pour leur incroyable engagement et esprit de corps, et Abdelmajid Ben Mrad, un artiste-né auquel il arrive parfois d’outrepasser certaines limites.
Qu’avez-vous fait une fois les études arrêtées ?
Notre président entre 1963 et 1968, Mohamed Ben Ismaïl, brillant journaliste reconverti en grand éditeur, m’embauche à Ceres Editions dont il va faire une maison-phare de l’édition dans notre pays. J’y ai fait toute ma carrière professionnelle. Ben Ismaïl m’a montré, je crois, le bon chemin. Je n’ai jamais fumé ou bu. Cela m’a permis d’observer une hygiène de vie impeccable.
De combien a été votre prime pour la victoire en coupe de Tunisie 1964 ?
A peine 5 dinars ou quelque chose comme ça. Mais mieux que l’argent, ce fut un voyage à Paris offert cet été-là par notre club. Ce séjour nous a permis de voir à l’œuvre des clubs aussi prestigieux que le Real, Reims, Anderlecht, Dortmund et le Santos du Roi Pelé, tous invités dans un tournoi au Parc des Princes, à Paris.
Cinq ans plus tard, vous avez néanmoins perdu la finale de la coupe de Tunisie face au frère ennemi, le CA (2-0). Vous étiez alors de la partie ?
Oui. Cette finale-là a trainé en longueur. Elle n’eut lieu que le… 13 juillet 1969, au cœur de l’été. Notre entraîneur Robert Domergue avait hâte de rejoindre son nouveau club, l’AS Monaco, en France. Avant de partir, il a communiqué à son successeur Abderrahmane Ben Ezeddine la formation qu’il devait aligner à l’occasion de la finale, et les clés du jeu sang et or. Il insista sur le fait qu’il ne fallait pas aligner côte à côte, dans la même équipe, et Chedly Laâouini et Noureddine Diwa qui étaient tous deux en fin de carrière. Chacun d’eux devait tout au plus disputer une mi-temps, car ils étaient sur le déclin, et physiquement, ils n’étaient plus au top. Malheureusement, Ben Ezeddine fit autrement, alignant tout à la fois Laâouini et Diwa, avec le résultat que l’on connaît. Je crois du reste que Domergue a été le meilleur entraîneur que j’ai connu.
Parlez-nous de votre famille…
J’ai tout sacrifié pour mes trois enfants : Sonia, 48 ans, cadre dans une banque, Ziad, 44 ans, comptable, et Tarek, 43 ans, cadre bancaire. Je lui ai choisi ce nom par admiration pour l’ancienne gloire de l’EST, Tarek Dhiab.
Enfin, quels sont vos hobbies ?
Je revois souvent mes anciens coéquipiers Abdeljabbar Machouche et Abdelkader Ben Sayel «Gaddour». A la télé, je regarde le foot européen. Je suis fan du Real. Le foot tunisien ne me plaît plus car il n’a plus aucun attrait pour moi.